Présentation

Le grand colloque qui s’est tenu sur une semaine était le 49e de la série des colloques internationaux d’études humanistes, tradition établie depuis la fondation du CESR en 1956. Il a compté plus d’une centaine d’intervenants dont les contributions sont publiées sur ce site au fur et à mesure, non selon une logique de sessions (que l’on consultera dans le programme), mais selon leur ordre d’arrivée pour mettre au plus vite leur contenu à la disposition des lecteurs. Outre son intérêt scientifique propre, cette manifestation a été l’occasion d’effectuer un bilan général des activités du Centre pendant ses cinquante ans d’existence et de présenter les résultats et les évolutions de la recherche. Coordonné par l’équipe de direction, il a délibérément écarté toute approche disciplinaire dès les débuts de son organisation un an et demi auparavant. Le thème, fédérateur, a permis de mettre en place des sessions interdisciplinaires qui ont dépassé les clivages habituels entre historiens, littéraires, historiens des sciences, de l’art ou du livre, philosophes et musicologues. Les membres du CESR et le conseil de perfectionnement ont été conviés à proposer une liste d’intervenants de façon à éviter ce qui aurait pu n’être qu’une juxtaposition de noms prestigieux, et à respecter les nouvelles orientations de la recherche.

La séance inaugurale a montré les enjeux d’une problématique qui reste au cœur des conflits. Point de réflexion fondamental avec la nouvelle science, l’émergence de l’incrédulité et la remise en question des églises constituées, le thème nous a réunis par un lien oblique, dans une hétérogénéité qui a peut-être surpris avec des contributions où l’on a pu voir se côtoyer les questions théologiques de la prédestination et du libre-arbitre, les questions d’assurance « tout risque » et les manuels de jeux de hasard ; où l’on a vu se déployer les grands desseins des artistes imitateurs ou singes de Dieu et les improvisateurs en tous arts ; où la finalité des objets et des créatures a pu être contestée ou réaffirmée ; où l’on s’est confié à l’aide divine tout en la sollicitant pour soi seul ; où les figures païennes de Fortuna, de Nécessité et d’Occasio ont hanté les pages des livres d’emblèmes et les devises des notables. Le kairos ou « moment opportun » a été revendiqué en politique comme en littérature, pour cette époque qui était encore le théâtre de quelques antiques jugements de Dieu, de quelques ordalies de sorcellerie, de punitions ou de récompenses que l’on a déclarées bien méritées dans le meilleur des mondes possibles. Aucun de ces sujets n’étant la propriété d’une discipline, aucun avatar du Hasard ou de la Providence ne s’est laissé posséder complètement par un seul groupe de spécialistes. La prédiction religieuse, les futurs contingents et les pronostics médicaux se sont rencontrés sur le terrain de l’avenir, en médecine comme dans les sciences de l’occulte.

La séance de synthèse, organisée par des doctorants et jeunes docteurs du CESR, a permis de récapituler les lignes de force tracées entre les différentes sessions. Les communications et les échanges ont montré que cette large période de près de quatre siècles est bien celle des changements majeurs dans les attitudes herméneutiques et dans les réponses aux grands questionnements au milieu des bouleversements scientifiques, techniques et métaphysiques. On a pu remarquer que la pensée du hasard progressait sensiblement à cette époque de montée du rationalisme, comme un défi permanent aux idéologies rassurantes ou simplificatrices, hasard provisoire qu’une ambitieuse idée de Nature comme objet de science voudra faire reculer. Les contributions qui s’appuyaient sur une approche descriptive et informative ont montré que les chercheurs spécialistes de la période n’en ont pas fini avec l’étude des sources, toujours révélatrices d’opinions et de croyances découvertes ou redécouvertes. D’autres ont décrypté les enjeux de la nouvelle « Providence » exaltée par la Réforme et opposée au matérialisme antiquisant, en montrant la volonté de maîtrise du destin humain, par-delà les différences entre les approches confessionnelles, philosophiques et politiques.

Marie-Luce Demonet, directrice du CESR
Membre de l’Institut Universitaire de France