Richard Hillman

Hamlet, jeu de hasard et jeu de Providence : l’histoire, la tragédie et l’histoire tragique

[Résumé]

La critique a souvent remarqué la façon abrupte dont le personnage principal de Hamlet, pièce largement considérée comme la première tragédie occidentale du « sujet moderne » dans l’acception psychanalytique du terme, abandonne finalement sa propre subjectivité, selon laquelle il s’était vu comme appartenant à un monde dirigé par le hasard (« Fortune »). Tout en citant les Saintes Écritures, il se lance alors dans une vision providentielle de sa situation, ce qui lui permet paradoxalement d’accepter l’invitation de ses ennemis à un match d’escrime piégé qui lui sera mortel. Cet élément rajouté par Shakespeare à sa source principale, l’« histoire tragique » de « Amleth » par François de Belleforest, détourne la vengeance parfaitement réussie du personnage original, produisant ainsi la fin tragique de la pièce. Il s’agit pour certains commentateurs d’une découverte « heureuse » de la foi chrétienne, pour d’autres d’un fatalisme auto-trompeur et suicidaire. Cette communication se base, en premier lieu, sur un écho intertextuel jusqu’à présent inaperçu, bien que tout à fait accessible au public shakespearien, d’un texte historique des Guerres de Religion françaises, écho dont le contexte impose la deuxième de ces interprétations avec une ironie carrément brutale. Toutefois, ce même public risquait simultanément de voir récupérer la tragédie de Hamlet en tant que « sujet moderne » à travers encore un intertexte assez accessible mais jamais mis en rapport avec Hamlet, à savoir une autre « histoire tragique » tirée du même volume de Belleforest. À la différence de l’histoire de Amleth, cette deuxième histoire est rigoureusement conforme à l’orientation moralisatrice du genre, selon laquelle le hasard n’existe pas : la providence de Dieu ne manque jamais de se manifester sous forme de justice, que ce soit tôt ou tard. Mais l’essentielle ressemblance avec la pièce shakespearienne consiste à représenter la mort d’un jeune garçon innocent provoquée par la méchanceté de son oncle ambitieux, la faiblesse morale de sa mère et la vengeance extrême, quasi-diabolique, de son père. Paradoxalement, par le biais intertextuel de cette « histoire tragique » on ne peut plus classique, la pièce revêt son aspect psychologique, voire œdipien, perspective qui exclut par définition tout idée de la providence, sinon de la fatalité.

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