Daniel Ménager

La prudence du diplomate

[Résumé]

Dans les traités de la Renaissance et, encore plus, dans ceux de l’âge baroque, la prudence est la vertu cardinale de l’ambassadeur, et, d’une manière plus générale, du diplomate. On le voit en particulier chez Hermann Kirchner (1614) et chez Antonio de Vera (1620). La prudence, c’est-à-dire « la conduite des accidents inopinés et casuels » (P. Danès), ou encore, selon Kirchner « scientia opportunitatis ». Par cette place accordée à la prudence, les traités spécialisés s’inscrivent dans un mouvement plus général que l’on observe aussi dans les Institutions du Prince et dans les livres sur l’art de gouverner. L’action politique est de plus en plus envisagée comme s’exerçant dans le contingent. Par là-même, le métier de diplomate échappe à la théorisation : comment dire ce qu’il faut faire quand les situations ne sont jamais semblables ? Seule peut-être la lecture des historiens peut donner des règles de conduite. Le reste est affaire d’expérience. L’ambassadeur devra deviner le moment opportun pour aborder avec le prince chez qui il se trouve les affaires dont il est chargé. Il devra capter sa confiance au risque de passer pour infidèle à son propre prince et trop complaisant. Dans cette optique, le diplomate devient un virtuose de l’action. Le revers de la médaille, nous le trouvons par exemple dans la Correspondance diplomatique de Machiavel, obsédé par l’urgence et démuni devant celle-ci : à quoi servent les Instructions qu’on lui envoie puisque, à peine arrivées, elles sont lettre morte ? Les situations évoluent sans cesse : « On ne peut juger qu’au jour le jour ». Que faire, sinon improviser sans avoir l’aval de ses lointains mandants ? Un coup de dés diplomatique jamais n’abolira le hasard, source d’angoisse et de vertige.

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