Dominik Perler

Le hasard est-il possible ? Spinoza, critique des conceptions scolastiques de la contingence

[Résumé]

« Il n’y a rien de contingent dans la nature », affirme Spinoza catégoriquement dans son Éthique (I, p 29). Toutes les choses existent par nécessité, et leurs relations causales sont également déterminées par nécessité. Cette conception radicale soulève un problème fondamental : comment pouvons-nous parler des choses contingentes ou même des événements qui arrivent par hasard si tout existe par nécessité ? Est-ce que la distinction entre nécessité et contingence est superflue ou même illégitime dans un cadre spinoziste ?
Dans ma communication j’aimerais discuter ce problème en me concentrant sur les raisons métaphysiques que Spinoza apporte pour sa conception nécessitariste. Ses arguments s’insèrent dans une critique globale d’une certaine théorie scolastique (et partiellement aussi cartésienne) de la contingence. C’est pourquoi j’analyserai, dans une première étape, cette critique qui vise à rejeter la conception d’un Dieu tout-puissant qui pourrait intervenir dans le monde matériel pour causer des événements qui ne sont pas réglés par les lois nécessaires de la nature. Une telle conception présuppose (a) une distinction réelle entre créateur et création et (b) la possibilité d’une suspension des lois de la nature – deux prémisses métaphysiques que Spinoza rejette. Dans une deuxième étape j’essayerai de montrer que Spinoza accepte néanmoins la distinction entre nécessité et contingence en introduisant la perspective épistémique : ce qui est nécessaire en soi peut nous apparaître contingent à cause de notre connaissance imparfaite de toutes les relations causales. C’est le déficit épistémique qui crée, pour ainsi dire, la catégorie du contingent. Finalement, j’esquisserai les conséquences éthiques d’une telle conception qui distingue entre nécessité métaphysique et contingence épistémique. Pour Spinoza, chaque être humain a la tâche de perfectionner sa connaissance des relations causales afin de comprendre pourquoi ce qui semble arriver d’une manière contingente doit en effet arriver par nécessité. La liberté intellectuelle consiste justement dans cette compréhension d’une nécessité inévitable.

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