François Laroque

Star-crossed lovers : le destin et les étoiles dans Roméo et Juliette

[Résumé]

L’espace-temps de la tragédie amoureuse a pour caractéristique le fait que tout soit déjà consommé dès le départ en raison d’une funeste conjonction astrale :

« Des fatales entrailles de ces races rivales
Sont nés deux amants sous une mauvaise étoile ;
Leur chute infortunée autant que pitoyable
Enterre avec leur mort les haines ancestrales »
(Prologue 5-8)

Dés-astre annoncé, la tragédie des amants montre que la mort est présente aux origines mêmes de la vie. Pourtant, l’idéalisation amoureuse s’efforce de conjurer le déterminisme humoral lié aux « dog days », période où sévissait la constellation du Chien, à savoir la canicule qui règne à Vérone de la mi-juillet à la mi-août. Mais Roméo, en tendant la main à son ennemi héréditaire, cause involontairement la mort de Mercutio avant de tuer lui-même en duel le bouillant Capulet pour venger son ami : « O, je suis le jouet de la Fortune !» (III.1.140). Juliette, quant à elle, que son nom identifie au mois de juillet, réunit par sa date de naissance (le 31 juillet) ces deux extrêmes qu’étaient les deux fêtes celtiques de « Hallowe’en » (le 31 octobre, date probable de sa conception) et de « Lammastide », traditionnelle fête de l’abondance et des moissons qui était alors célébrée le 1er août. Avant d’avaler le poison, Roméo dit vouloir « arracher au joug des étoiles ennemies/[Sa] chair lasse de ce monde » (V.3.111-12). Paradoxalement, les images stellaires servent aussi à présenter la beauté qui resplendit sur fond de nuit ainsi que la jouissance féminine (Juliette dit vouloir découper le corps de son mari en « petites étoiles », III.2.22). Si les humeurs semblent bien régies par la conjonction astrale qui transforme en destin la passion amoureuse, les amants maudits sont autant portés que détruits par des aspirations et des désirs qui les font à la fois vivre et mourir (« comme le feu et la poudre/Explosent en s’embrassant », II.5.10-11). Shakespeare semble ainsi montrer que, s’il est bien lié à des forces extérieures (la haine des familles rivales et un sort contraire), le destin tragique obéit tout autant à l’ambivalence d’une nécessité intérieure.

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