Aurélie Plaut

Signes de Dieu, Signes du diable : la lecture providentielle de la naissance du « monstre » protestant chez Florimond de Raemond

[Résumé]

Dans L’Histoire de la Naissance, Progrès et Decadence de l’Heresie de ce siècle (1605), Florimond de Raemond s’emploie à donner un sens à l’émergence du protestantisme. L’ouvrage s’ouvre sur la description minutieuse de la « naissance » de l’hérésie protestante. Le contexte qui accompagna l’apparition de cette nouvelle « secte » est l’occasion pour l’auteur de révéler son analyse du fait historique. Deux chapitres durant, Raemond s’efforce de consigner les événements qui ont pu en annoncer la naissance. Le controversiste propose alors une lecture providentielle et prophétique de l’histoire. Le fait historique devient, rétrospectivement, un geste de Dieu, un signe annonciateur du malheur à venir. C’est de l’incipit de l’ouvrage que partira notre réflexion.
Au même titre que certains auteurs qui rapportèrent dans leurs œuvres des naissances prodigieuses, Raemond fait ici de l’« hérésie » un « monstre » protéiforme. Allégorie du protestantisme, ce monstre possède autant de têtes que l’hérésie possède de branches. Il donne de nombreux exemples de prodiges qui l’annoncèrent et qui l’accompagnèrent. Les sources sont denses – Peucer, Cardan, Sabellicus, etc. – ; les exemples fleurissent et ne se ressemblent pas. Raemond met en place au début de son ouvrage une typologie du prodige. Le lecteur assiste à des éclipses, des manifestations célestes, autant d’ostenta qui, pour lui, sont avant tout des signes, des gesta Dei.
Pour Raemond l’histoire de l’humanité est subordonnée au dessein de la Providence. L’émergence de l’hérésie prend alors toute sa signification. Elle est punition et arrive après un long temps de paix dans l’Église. Le prologue de l’ouvrage est bien là pour donner une justification à des temps troublés. Même si Raemond accepte la soumission à l’épreuve, il est de ceux qui choisissent de lutter pour l’éradication définitive de la « secte démoniaque ». Écrire l’« histoire de l’hérésie » revient alors à chercher un sens, à justifier et à comprendre la volonté divine. Chaque événement historique est interprété rétrospectivement comme signe providentiel « négatif », si l’on peut dire. Point de place ici au hasard. Le lecteur est bel et bien confronté à une lecture eschatologique de l’histoire où les événements historiques sont appréhendés comme des épreuves contre lesquelles l’homme doit lutter pour accéder au Salut.
Ces éléments montreront que L’Histoire [...]de l’Heresie participe à la construction d’un mythe protestant. Chez notre auteur, l’histoire est vue comme une « histoire théologique ». L’homme n’est pas au centre de l’analyse historique comme il le sera à partir du XVIIe siècle. Nous sommes loin également de la conception de l’histoire initiée par Jean Bodin. Raemond est en cela conservateur ; pour lui, l’acteur principal est Dieu, et sur le « téatre du monde », les hommes ne sont que Ses instruments.

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