John O'Brien

Hasard et providence dans le Sud-Ouest : Montaigne et ses amis et voisins

[Résumé]

Décidément, Montaigne n’a pas de chance : autour de lui, dans des milieux qu’il connaît ou dans lesquels il évolue, deux hommes d’église (Foix-Candale et Charron) et un ami protestant (Du Plessis-Mornay) prêchent, enseignent, préconisent la nécessité et la suprématie de la providence. Se distinguent dans les écrits de ce petit groupe deux tendances qui tantôt se séparent et tantôt se combinent : expliquer la place et le rôle de la fortune et de la destinée par rapport à la conception de la providence chrétienne ; chercher à raccorder à la pensée chrétienne les données de la tradition antique ou païenne. C’est plutôt dans ses Discours chrestiens (1604) que dans De la sagesse que Charron abordera ces questions. Deux discours entiers y sont consacrés : le second en particulier, traitant de la fortune, retiendra notre intérêt. La conception que Charron s’y fait de sa tâche est essentiellement apologétique : adopter un programme et une démonstration systématiques pour montrer que la providence est au-dessus de la fortune et de la destinée ; alors que pour Du Plessis-Mornay, dans De la vérité de la religion chrestienne (1581), la providence permet de cheminer « entre la fortune d’Epicure & le destin de Chrysippe ». Moins hostile ou indifférent à l’apport de l’Antiquité, qu’il cite à l’appui de ses propos, Mornay s’efforce de concilier les grands courants chrétiens et antiques afin de conseiller, vis-à-vis de la fortune, un détachement tout chrétien. Dans son Pimandre (1579), Foix-Candale, apologiste aussi bien qu’éditeur, fera également face aux problèmes philosophiques que pose cette conciliation d’une destinée et d’une fortune antiques à une providence chrétienne. Où placer Montaigne dans cette ambiance et cette activité intellectuelles ? À la différence de ces systèmes de pensée qui, autour de lui, déploient une approche méthodique du problème, il ne considère pas la providence et le hasard en tant qu’abstractions, séparables des conditions physiques et historiques par lesquelles ils se manifestent pour notre considération. Au détour d’une histoire ou d’une anecdote, surgit tout d’un coup dans ses Essais une réflexion sur la providence et le hasard ; au suivi d’un discours qui propose une vue d’ensemble, il préfère le morcellement des propos qui bloquent la construction d’un « système du monde » ; le monde est ainsi préservé dans toute sa complexité, prête à mettre en déroute toute tentative de laisser là les choses pour parler des causes.

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