Kirsti Sellevold

Ordre et hasards de la communication : le cas des Essais

[Résumé]

La théorie linguistique de la pragmatique cognitive (connue également comme la théorie de la pertinence) propose un modèle selon lequel la communication se réalise de deux manières distinctes : par le déchiffrement du code linguistique, et par des processus inférentiels à base du contexte. Puisque c’est au récepteur de sélectionner un contexte qui, selon son jugement, soit approprié au code, ce modèle ne cache pas les hasards de la communication, les malentendus qui à tout moment risquent de survenir. Nous allons argumenter que Montaigne a été conscient de la dimension cognitive de la langue, ce qui se voit d’abord par l’intérêt qu’il porte au fonctionnement, souvent imprévu et étonnant, de son esprit, et puis par sa reconnaissance du fait que les énoncés sont des actes d’interprétation de la pensée, « subject informe [qui] à toute peine » se couche « en ce corps aéré de la voix ». Par cette reconnaissance, Montaigne montre, tout comme les pragmaticiens, qu’il existe des écarts entre la pensée (l’intention) et l’énoncé qui est censée la rendre, écarts qui doivent être remplis par des processus inférentiels. Le principe de pertinence qui guide ces processus correspond grosso modo à la notion d’ordre que présente Montaigne dans III, 8, car ce qui permet d’interpréter les propos d’un « homme vigoureux », c’est « l’ordre et la pertinence de son entendement ». Et inversement, lorsque ces qualités manquent, la possibilité d’erreurs se multiplie à mesure que se réduisent au minimum des processus inférentiels : si ces interlocuteurs « rencontrent » quand même, « voyez si c’est la fortune qui rencontre pour eux ».

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