Olivier Guerrier et André Tournon

Lectures de Plutarque au XVIe siècle : la fortune providentielle

[Résumé]

Les traités de Plutarque, surtout dans la traduction d’Amyot munie des commentaires de Simon Goulart, présentent un providentialisme irréprochable, maintes fois réaffirmé dans les polémiques contre les Épicuriens, et parfaitement compatible à première vue avec les perspectives chrétiennes. Mais les données paraissent plus complexes à la lecture des textes qui abordent de front la question (« De la fatale destinée » ; « De la fortune des Romains »), ou exploitent des sujets connexes (oracles ou interventions d’agents surnaturels). Outre les lois universelles et desseins de l’intelligence suprême à fonction de cadre d’ensemble, Plutarque distingue des configurations erratiques assorties aux vicissitudes des choses humaines, et il privilégie ce dernier modèle – théoriquement suspect – par sa propension d’écrivain à mêler à ces considérations philosophiques, à titre d’exemples ou de cas, des anecdotes qui introduisent l’« événement » et ses composantes fortuites dans le discours. Certaines singularités doctrinales, sollicitées par cette attention au hasard du réel, donnent à penser que Plutarque s’efforce de faire entrer la « fortune » dans les perspectives providentielles sans travestir ses aspects aléatoires en masques de la nécessité ou de la volonté divine, et qu’il mesure les difficultés de l’entreprise. Quelques traces des réactions d’Amyot au texte qu’il traduisait ainsi que plusieurs observations explicites de Goulart devraient permettre de préciser les problèmes posés par cet aspect des Moralia et, par-delà, d’en mesurer les incidences sur les images du monde élaborées au cours des dernières décennies de la Renaissance.

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