Florence Jutier-Buttay

Usages politiques de l’allégorie de la Fortune à la Renaissance : l’exemple du tournoi organisé par Jean II de Bologne en 1490

[Résumé]

D. Arasse soulignait « toute la continuité (…) entre la floraison allégorique du Cinquecento et la tradition médiévale des images didactiques et morales ». Cependant, l’iconographie de la Fortune subit des changements décisifs dans la deuxième moitié du XVe siècle. Sans reprendre l’image la plus fréquente dans l’Antiquité, elle donne à l’antique figure les traits mêlés de Vénus et de l’Occasion. Cette nouvelle image connaît un succès extraordinaire. Vers 1500, toute la classe dirigeante italienne utilise cette Fortune dans ses emblèmes. Comment interpréter ce succès ? La réponse est à rechercher dans les usages de l’allégorie. L’analyse d’un ensemble de fêtes publiques permet de montrer que la présence de Fortune dans un programme dépend du type de légitimité invoquée pour le prince qu’elle célèbre. L’anthropologie a mis en évidence les deux sortes de légitimité qu’un prince peut revendiquer : la première, légitimité de durée ou dynastique, met l’accent sur l’appartenance à une lignée, à une chaîne ininterrompue d’individus : Fortune ne sert guère dans ce contexte. La seconde est la légitimité de rupture, celle du souverain de mérite, pourrait-on dire, qui arrive le premier au pouvoir et met en avant, sur le modèle de David par exemple, l’élection divine manifestée par une série d’épreuves. Dans ce cas, la figure de Fortune, comme force adverse vaincue grâce au mérite du souverain, ou comme compagne porteuse de victoire, témoignant de la bienveillance divine, est très utile au discours. L’exemple du rôle de l’allégorie de la fortune dans le tournoi organisé par Jean de Bologne en octobre 1490 est particulièrement éclairant. On y voit un renversement complet du discours traditionnel qui exalte la supériorité de la Sagesse sur la Fortune. La mise en scène de la défaite de Sapienza n’est compréhensible que dans le contexte politique de la seigneurie de Bologne. Mais on peut dégager de ce spectacle le lien entre victoire de la Fortune et thématique impériale. Le principat augustéen est fondé sur un compromis entre légitimité dynastique et légitimité d’élection. Fortune est la principale allégorie de ce dernier aspect de la symbolique impériale, qui s’exprime particulièrement dans le triomphe. Ainsi s’explique une grande partie de son succès dans l’apparat déployé par les princes italiens et français au XVIe siècle.

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