Philippe Morel

Entre destinée et occasio, de la virtù du prince aux arcanes du pouvoir

[Résumé]

La figure providentielle de Côme Ier de Médicis dans le décor de la salle des audiences du Palazzo Vecchio à Florence

Réalisées entre 1543 et 1548 dans la salle des audiences du Palazzo Vecchio, les fresques peintes par Salviati développent une série allégorique tout à fait exceptionnelle sur le temps, en marge des storie consacrées au héros romain Camille, auquel est manifestement identifié le commanditaire, le duc de Florence Côme Ier de Médicis. L’artiste florentin redonne notamment au Kairos son apparence antique, aux côtés de l’Occasio latine et d’autres personnifications du temps auxquelles s’ajoutent des symboles de différentes vertus et les figures plus étranges et plus exceptionnelles d’Hécate et Phanès. La singularité et le caractère ésotérique de cet ensemble n’ont pas suscité beaucoup de commentaires alors qu’ils constituent la part la plus originale de l’invenzione et la véritable clé de lecture topique de l’ensemble du décor. Ces personnifications servent en effet de commentaires aux storie antiques et à leur rapport encomiastique à la personne de Côme Ier qui se développent à partir de l’inscription du signe astrologique de son destin, le Capricorne, sur le char du héros. C’est particulièrement vrai de la Prudence-Temps saisissant l’Occasion, qui encadre les deux grandes scènes antiques, la prise de Véies et la libération de Rome de l’occupation gauloise, deux épisodes relatés notamment par Tite-Live, où Camille a montré qu’il savait faire preuve d’audace, agir au bon moment et profiter des opportunités qui se présentaient à lui. Parlant de son destin, Plutarque écrit « le temps […] a, avec l’aide divine, mêlé et associé fortune et vertu », soulignant de la sorte une interaction du temps, de la fortune et de la vertu. Selon un propos assez semblable, le système allégorique sert à désigner la capacité analogue du héros antique et de son double moderne à saisir l’occasion, tout en gérant le temps et la bonne fortune avec prudence et tempérance. Dans le décor de Salviati, la providence intervient d’abord sous la forme de prédestination astrologique, tandis que le commentaire allégorique prend une tournure ésotérique avec des divinités aussi mystérieuses qu’Hécate et Phanès, comme si leur caractère hermétique devait être mis au service du pouvoir médicéen et en suggérer le principe supérieur dès lors qu’ils qualifient la « Faveur » dont il procède.

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