Frank Lestringant

Providence et Imago Mundi

[Résumé]

En grec, puis en latin, un jeu de mots ancien associe le monde et la beauté. Cosmos en grec est tout à la fois nom et adjectif. C’est parce qu’il est « orné » que le monde s’appelle ainsi. Même allusion en latin : mundus exprime à la fois la totalité, quand il est substantif, et la pureté, quand il est qualificatif. Il est dès lors tentant de voir dans l’image du monde l’expression de la bonté et de la générosité divines, et c’est ce que ne manquent pas de faire, au seuil de leurs ouvrages encyclopédiques, les cosmographes de la Renaissance, de Pierre Apian à Ortelius et à Mercator. La description générale du monde devient dès lors le prétexte à une « méditation cosmographique » sur l’admirable dessein du Créateur.

Le problème est l’inscription du péché dans la Création. La conception d’une nature fondamentalement bonne, chez saint Augustin déjà, se conjugue, en une tension non résolue, à l’idée, à première vue contradictoire, d’une nature déchue, défigurée et corrompue par les suites inéluctables du péché originel. Cette « incertitude de la pensée explicite de saint Augustin » (Jean Céard) se reflète par exemple dans l’œuvre d’Olaus Magnus, placé entre deux impératifs contradictoires, celui d’exalter les merveilles du Septentrion et celui de traquer, à travers une multitude d’indices, les progrès du mal dans ces régions. Même remarque pour le débat qui oppose, à propos des îles de l’archipel universel, Vincenzo Coronelli à Jacques d’Auzoles-Lapeyre. Les îles de l’Océan, dont la multiplication est consécutive au Déluge, sont-elles la marque du péché de l’homme ou bien le signe de la perfection divine, laquelle, dans son infinie sagesse, a voulu ainsi orner le monde ?

[Télécharger l'article]

http://umr6576.cesr.univ-tours.fr/publications/HasardetProvidence/fichiers/pdf/Lestringant.pdf