Christian Trottmann

Hasard et providence dans le commentaire de Denys le Chartreux à la Consolation de la Philosophie de Boèce

[Résumé]

Denys le Chartreux est un auteur extrêmement prolixe et son enseignement sur la providence ou le hasard traverse plusieurs de ses œuvres, mais c’est évidemment lorsqu’il est amené à commenter la Consolation de la Philosophie de Boèce, qu’il est amené à donner des définitions précises de ces deux concepts et à développer une réflexion spécifique à leur sujet.
Pour aller à l’essentiel, disons que lorsqu’il entend définir la Providence comme le regard simple porté par Dieu sur sa Création depuis son éternité, il est amené à la distinguer du « fatum », causalité inscrite cette fois pas sa divine sagesse dans les choses elles-mêmes. À une vision interne et éternelle, s’oppose ainsi l’inscription dans la temporalité de la causalité créatrice qu’elle exerce depuis son éternité. La première inscription concerne évidemment les astres. La réflexion sur destin et providence est l’occasion de reprendre les développements du corpus Hermétique non sans critiques qui atteignent également la conception de la causalité développée par les philosophes arabes et Alkindi en particulier.
De même et, là encore très synthétiquement, la définition du hasard est l’occasion d’abord de critiquer sa définition attribuée à l’Épicurisme comme un événement dépourvu de cause. Un tel hasard ne saurait avoir aucune existence. De rien, aucun effet ne saurait sortir. Revenant à la définition aristotélicienne d’un événement fortuit comme n’étant pas celui attendu de sa cause, ou relevant accidentellement (et non essentiellement) de celle-ci, c’est ainsi le « fortuitus » ou la « fortuna » qui se substitue à un hasard (casus) déficient. Celui-ci se trouve réduit à être tout au plus une espèce dans le genre du fortuit. C’est l’occasion d’analyses intéressantes sur le hasard que nous pouvons ainsi résumer : 1 aucun événement fortuit n’échappe à la providence et à la causalité divine. Mais comment expliquer alors ce qui se produit de manière non nécessaire et même pas régulière ? 2 C’est que le hasard concerne le domaine le plus éloigné de la causalité divine (au sens où de nombreuses causes secondes s’interposent et interfèrent entre elles) : celui des réalités matérielles ou des vivants inférieurs. Mais il faut ajouter le comportement des fous et des pécheurs parmi les types d’événements que notre rationalité limitée attribue au hasard. 3 le fortuit, même dans l’explication aristotélicienne, dont l’exemple est celui d’un laboureur qui découvre un trésor caché dans son champ, pourrait laisser penser à une absence de cause. Bien avant Cournot, Denys reconstitue les deux chaînes causales indépendantes qui produisent l’événement fortuit. Un homme riche et menacé cache le trésor dans le champ espérant l’y retrouver. Un laboureur prépare son champ en vue d’en obtenir une récolte. La rencontre de ces deux chaînes (analysées plus en termes de finalité que de causalité, ce qui fait la différence avec Cournot) nous semble fortuite. Mais elle ne saurait échapper à la Providence qui sait, elle, où se trouve le trésor et où va passer la charrue du laboureur.
Situé entre la providence, regard simple de l’éternel et le hasard affectant la matière inerte e

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